Une interview de Rémy Franck avec la violoniste suisse (Pizzicato 03/12)

Rachel Kolly d'Alba
Photo: ICMA/Hoffmeister

La violoniste suisse Rachel Kolly d’Alba étudie le violon et le piano dès l’âge de 5 ans. A 12 ans, elle joue déjà en public avec orchestre. Elle démarre une carrière internationale sans précipitation, elle se marie, donne naissance à un enfant… et poursuit son exploration du monde musical, à sa façon. En 2010, son CD ‘Passion Ysaÿe’ chez Warner Classics attire l’attention sur elle. En 2011 sort ‘French Impressions’, avec lequel elle gagne le prix de l’ICMA dans la catégorie ‘Concertos’. Rémy Franck l’a rencontrée pour un entretien.

Rachel Kolly d’Alba, vous poursuivez une carrière du type ‘lent, réfléchi’, avec des succès certains…

Oui, dans ma carrière, chaque étape a été faite lentement. Je sors d’une tradition familiale où l’on disait: Tu travailles, et les choses viendront. Donc je n’ai pas démarré une publicité avant d’avoir fait ‘mes devoirs’. Et par après, c’est encore par étapes que j’ai progressé. Quand quelque chose d’important se passait, cela signifiait que j’étais prête. Que ce soit pour la maison de disques, pour avoir accès à de grandes salles ou pour jouer avec de grands orchestres, à chaque fois je me suis sentie prête. Pourtant, j’avais reçu mes premiers diplômes très jeune, à 15 ans. Mais j’ai attendu la maturation.

Votre label, c’est Warner Classics…

Oui. J’ai avec eux une excellente collaboration. J’avais d’autres contacts, mais j’ai opté pour Warner parce que j’y ai pu tout concevoir moi-même, le programme, le livret, les textes, le choix des photos…Chez eux, cela ne tourne pas autour d’un business plan comme chez d’autres maisons de disques.

Le disque est une carte de visite…

Je ne le fais pas pour ça. J’ai toujours imaginé une discographie idéale. On enregistre les œuvres qu’on a digérées, qu’on a aimées et pour lesquelles on a vécu. Je n’enregistrerais pas les ‘Quatre Saisons’ de Vivaldi. J’ai enregistré un disque Ysaÿe et un disque avec des oeuvres françaises avec orchestre. Je connais bien la discographie existante, les enregistrements qui ont été faits, les optiques qui ont été prises. Par exemple, pour les sonates d’Ysaÿe, je constatai qu’il y avait des enregistrements techniquement très bien faits, mais qui me donnaient l’impression que je pouvais encore apporter quelque chose de plus, une nouvelle passion. Pour moi, c’est cela qui compte. Le message musical. Pas le marketing, dont d’autres peuvent s’occuper mieux que moi.

Le premier CD s’appelle ‘Passion Ysaÿe’, et j’ai l’impression que, dans tout ce que vous faites, vous êtes très passionnée.

Je vis d’une façon un peu spéciale, parce que je vis au milieux des livres, des vieux enregistrements, ceux qui me touchent. Ce que j’admire chez ces grands du passé c’est qu’ils ont une voix. Quand on met un disque de Milstein, Oistrach, Heifetz,… on les reconnaît tout de suite et il me semble que tout leur travail a eu comme but d’être complètement eux-mêmes, authentiques. En recherchant ma propre voix, authentiquement personnelle, je suis à côté du courant de beaucoup de musiciens actuels qui travaillent autrement, plus rapidement. Mon travail de maturation n’est pas fini, il pendra encore des années. Ce n’est que quand on est convaincu soi-même qu’on peut convaincre les autres. S’il n’y a pas cette envie d’exprimer ce qu’on a et de travailler là dessus, cela ne vaut pas le coup. Evidemment, auprès du public qui m’observe, cela peut se traduire comme une passion. Pour moi ce n’est que ma vie. La musique, c’est ma vie.

A vous entendre, vous n’aimez pas du tout ce son globalisé qui cependant se répand de plus en plus.

J’ai pris des cours avec Ivry Gitlis. Il me disait: « Tout le travail, c’est que ton monde intérieur sorte. Et cela va te prendre peut-être trente ans ». Si quelqu’un vous dit cela quand vous êtes très jeune, vous vous demandez comment vous allez faire, quelle voie vous allez prendre pour développer cela. En écoutant d’autres violonistes actuels et en étudiant particulièrement leur vibrato, je perçois cela souvent comme une façon assez glamour. Moi, les vibratos qui me font le plus vivre et rêver, ce sont ceux de gens comme Ginette Neveu, Christian Ferras, Zino Francescatti. Ce n’est pas une question d’imitation, c’est la question: Quelles sont les choses qui moi me font vibrer? J’ai travaillé avec d’autres professeurs, entre autres avec Igor Ozim qui me demandait au début d’être tout d’abord objective. Qu’est-ce que cela veut dire, être objectif en musique? Juste lire la musique? Non, car quand je venais avec mes idées, il me disait: Personnellement je ferai ceci ou cela, mais tu feras différemment. C’est ce qui est le plus important. C’est la même chose dans d’autres formes artistiques, en écriture par exemple, où l’on formulera une phrase pour qu’elle soit vraiment telle qu’on se l’imaginait. Cela peut prendre des heures à trouver les mots appropriés. Mais c’est génial de persévérer.

On a souvent établi la relation entre le jeu du violon et le chant. Comment le violoniste peut-il faire chanter son instrument?

Je pense qu’en premier lieu le violon fait partie de ma personnalité. Je me disais toujours que quelqu’un qui me voit sans violon, ne me connaît pas. Physiquement, le violon, très proche du cœur, est une sorte de prolongation des instruments de la voix. La tessiture est également très proche. Mais cela s’arrête là, le violon a d’autres caractéristiques que la voix, l’élégance, le côté brillant, l’articulation, le choix des couleurs, des vibratos. C’est plus large, plus riche. La musique imprimée est une page en noir et blanc qui stimule mon imagination de la colorier.

Et pourtant, il y a de chefs qui condamnent tout vibrato.

J’aurais beaucoup de peine avec eux.

Vous travaillez beaucoup chez vous, avant les concerts?

Je travaille énormément, je cherche constamment ma voie et je ne suis pas satisfaite de si tôt. Mes parents m’ont parfois dit que j’en faisais trop. Evidemment, ceux qui écoutent ne vont pas saisir tout ce travail, ils ne voient pas tout ce qui s’est passé avant l’interprétation. Mais c’est comme ça en art. En contemplant le dôme de Florence depuis la Piazza del Duomo, on ne voit les détails qu’en bas, et pas en haut, à la tour. Et pourtant, c’est seulement l’ensemble qui vraiment nous parle. Si j’apprends une sonate comme celle de Busoni par exemple,  je vais la décortiquer pendant des mois. Dans ce travail il y a un plaisir intense, intellectuel, sensuel et physique. J’habite dans un chalet très éloigné de tout et je peux travailler quand je veux et aussi longtemps que je veux. C’est parfait. Pouvoir travailler mon répertoire à longueur de journées, pour moi c’est génial.

Quel est ce répertoire au juste?

J’ai des amours et il y a de compositeurs que je vais jouer mieux que d’autres. Mozart ou Beethoven demandent encore un certain temps. Ce n’est pas bon de tout avaler. Il y a des choses que je fais mieux à un certain moment que d’autres. Je ne vois aucune urgence nulle part. Pour le moment, j’ai une vraie affinité pour le répertoire romantique tardif. Et si Mahler, Bruckner ou Wagner avaient écrit un concerto pour violon, je le jouerais. Mais je trouve ce plaisir aussi dans des œuvres de Chausson ou d’Ysaÿe. Je me sens aussi à l’aise dans la musique contemporaine que j’ai beaucoup jouée. Et je vais certainement retrouver Brahms et surtout Schumann…que j’adore.

Avez-vous une préférence pour le concerto ou la musique de chambre?

Non! J’ai eu des émotions fortes dans les deux genres. Ce qui me plaît en musique de chambre c’est de partager cette musique intimement avec quelqu’un d’autre et d’y atteindre une qualité d’écoute mutuelle très enrichissante. En revanche, il y a ces compositions tellement géniales pour violon et orchestre que cela devient aussi un vrai plaisir, à condition qu’on ait un chef avec lequel on s’entend bien.

Parlez-nous de votre instrument.

Le rapport avec l’instrument est essentiel. Tout au long de ma carrière, j’ai pu jouer beaucoup de très beaux instruments. Il se fait que je jouais un concert à Toulouse, et le violon solo de l’Orchestre me disait que j’avais un bon instrument, mais pas assez fort, et il me proposait de me prêter son Stradivarius pour le concert. Je suis immédiatement tombée amoureuse de cet instrument. Par la suite, le mécène qui possédait cet instrument put trouver un autre instrument pour le musicien toulousain, un magnifique Guarnerius qui lui plaisait beaucoup. Se rappelant de mon enthousiasme pour son Strad, il m’a mis en contact avec le mécène, et j’ai eu ce bel instrument. Depuis,… depuis, c’est le rêve…C’est un instrument de 1732 qui est très égal, très puissant aussi qui a beaucoup de possibilités poétiques, ce qui n’est pas toujours le cas pour des instruments très forts, avec beaucoup de couleurs. En me comparant à un peintre je dirais que j’ai des pinceaux de toutes les sortes et une palette chargée d’un maximum de couleurs. L’instrument m’ouvre les portes…

Vous écrivez vous-même les textes de vos CD et vous publiez des dissertations sur votre site. Est-ce que le mot écrit est complémentaire à la musique ou est-ce que la musique est complémentaire au mot écrit?

Le processus de travailler pour restituer ce qui est en nous est très semblable. Et si je recherche des couleurs sur mon instrument, j’ai aussi envie de le faire en écriture. J’ai toujours aimé la littérature et j’ai toujours écrit. Et je me suis toujours dit que si pour une raison ou une autre je ne pouvais plus jouer, je me verrais écrire. Sur mon site, je n’écris pas uniquement sur la musique, mais également sur d’autres sujets. J’aimerai également un jour faire de la radio, c’est une autre forme de communication, mais c’est de la communication comme la musique. Dans un certain sens, c’est le même genre de travail.

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